Démographie suisse, quels impacts?

Le vieillissement de la population helvétique engendre des effets multiples dans le secteur immobilier comme pour le système de prévoyance. Une donne complexe, qui nécessite une prise de conscience économique et sociale ciblée.

Le Temps du 25 avril 2024
Propos recueillis par Thomas Pfefferlé 

Les chiffres sont clairs. La population suisse comptait 16,5% de seniors en 2020, soit 135’000 personnes. Elle en comptera 205’000 en 2024, ce qui représentera 21% de ses habitants. Et cela sans considérer le facteur de l’immigration. Dans le canton de Vaud, d'ici à 2040, une personne sur cinq aura 65 ans ou plus et le nombre de personnes de plus de 80 ans va doubler. Une dynamique démographique qui n’est pas sans poser certaines difficultés, et cela dans différents domaines. Immobilier, adaptation des logements, prix des loyers, infrastructures médico-sociales et formation du personnel de santé, sans oublier l’équilibre du système de retraite en lui-même, constituent autant d’aspects clés impactés par ce contexte.  

Pour y faire face, il s’agit d’adopter un positionnement social et économique proactif, notamment de la part des institutions de prévoyance et des acteurs de la branche immobilière. On en parle avec Judith Granat, Directrice de la division marketing, conseil et communication à Retraites Populaires. Interview.  

Le Temps: Comment observez-vous la tendance démographique en Suisse? 

Judith Granat: La Suisse vieillit, et nous sommes très conscients des enjeux essentiels engendrés par le contexte démographique actuel. Le vieillissement de la population nécessite de prendre les devants, tant en matière de prévoyance que d’adaptation de notre parc immobilier. Cette dynamique doit être accompagnée d’un positionnement incisif pour favoriser le développement des établissements médico-sociaux, tout en concrétisant une politique d’adaptation des logements destinés aux seniors dans le but de leur permettre de rester à domicile le plus longtemps possible. Et cela aussi bien pour des questions de préférences des personnes concernées que de coûts globaux pour la société. En parallèle, la formation est un élément central afin de disposer de suffisamment de personnel de santé qualifié.  

De quelle manière cette dynamique impacte-t-elle notre société? 

Commençons par le secteur immobilier, un domaine qui nous concerne très largement puisque Retraites Populaires et ses mandants tels la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud (CPEV) et la Caisse intercommunale de pensions (CIP), entre autres, sont l’un des principaux propriétaires institutionnels du canton de Vaud. Selon plusieurs études et sondages, nous savons qu’aujourd’hui, seulement 2,5% des seniors vivent dans un logement adapté à leur âge et à leur état de santé. Ce qui ne favorise clairement pas la possibilité qu’ils restent à domicile le plus longtemps possible. Ce faible pourcentage contribue en outre à faire augmenter les besoins au sein des établissements médico-sociaux, et donc les coûts globaux de la santé.  

Concernant l’équilibre de notre système de retraite, on a forcément de moins en moins de jeunes et de personnes actives qui cotisent pour les personnes plus âgées. En parallèle, on observe que les prestations du premier et du deuxième piliers ne suffisent plus totalement à assurer des retraites décentes à une partie de la population. En ce sens, il est essentiel de devenir un acteur de sa retraite et de sa prévoyance.  

Pour revenir à la problématique d’adaptation des logements, comment les locataires seniors peuvent-ils agir? 

Dans la gestion de notre parc immobilier, que ce soit en nom propre ou sous gestion, nous avons mis en place une politique d’aide à la transformation des logements des seniors. Une action menée en collaboration avec notre partenaire Pro Senectute Vaud. Sur le terrain, l’association va au contact des locataires pour nous faire remonter ensuite leurs besoins en matière d’adaptation de l’habitat. Cela peut comprendre la révision du système d’éclairage, le remplacement de la baignoire par une douche plus adaptée, l’élimination des seuils pour réduire le risque de chute ou encore l’installation d’un ascenseur ou d’une rampe d’accès dans l’immeuble quand cela s’avère possible. Au final, ce sont des actions plutôt simples et peu coûteuses, mais qui permettent de générer un effet de levier significatif dans l’optique d’éviter la surcharge des EMS, tout en permettant aux seniors de rester dans leur logement. J’en profite aussi pour préciser que, parmi les locataires seniors de notre parc immobilier, 75% vivent dans des appartements allant d’une à trois pièces et demi. Un chiffre qui casse le mythe « que toutes les personnes âgées vivant dans des appartements trop grands pour eux », bloquant ainsi leur accès à de jeunes familles par exemple. D’où la pertinence de les aider en prenant à notre charge ces travaux d’adaptation pour leur permettre de continuer à vivre chez eux.  

Avez-vous également conçu un volet de mesures adaptées aux propriétaires? 

En effet. Pour les propriétaires arrivés à l’âge de la retraite, nous pouvons leur proposer des adaptations liées à leur prêt hypothécaire. En l’augmentant, tout en respectant les règles établies par l’autorité de surveillance des marchés financiers, la FINMA, et en s’assurant qu’ils pourront assumer le remboursement du prêt et des intérêts, cela permet de disposer de liquidités supplémentaires, par exemple pour les utiliser afin d’entreprendre ce type de travaux d’adaptation. C’est un levier d’action utile, qui offre la possibilité de pallier un manque de liquidité lorsque l’on arrête de travailler. Améliorer la sécurité et le confort chez soi, c’est favoriser l’autonomie et, en ce sens, retarder l’entrée dans des établissements médico-sociaux (EMS). Avec comme seul objectif celui de bien vivre sa retraite.  

Limpact est également conséquent sur la prévoyance. De quelle manière les futures personnes à la retraite peuvent-elles alléger la pression sur leur porte-monnaie? 

Rappelons déjà le contexte général qui pèse sur le système de prévoyance. Outre le vieillissement de la population, et ses effets explicités avant, on a assisté à une légère diminution voire stagnation des rentes pour certaines typologie de population durant ces dix dernières années, parallèlement à la baisse du taux de conversion. Heureusement l’inflation était faible durant cette période. Si aujourd’hui le taux de conversion s’est stabilisé, le contexte d’inflation qui s’est installé contribue à l’érosion du pouvoir d’achat.  

Je suis d’avis qu’il faut donc inciter la population à prendre les devants pour éviter un manque de revenus à la retraite, par exemple en se constituant un troisième pilier le plus tôt possible, même en y versant qu’une centaine de francs par mois au début. Il s’agit d’adopter une vision à long terme, car c’est de cette manière que l’on va pourvoir générer des rendements sur le long terme sur sa propre prévoyance.  

Quelles actions organisez-vous pour favoriser cette prise de conscience au sein de la population? 

Outre notre activité de sensibilisation précoce, nous avons également mis en place des mesures de conseils destinées aux personnes avoisinant les 50 ans dans le cadre de notre programme « Bien vivre sa retraite ». L’objectif consiste à réaliser un premier bilan pour faire le point quant à sa situation. Pourquoi cette tranche d’âge ? Ces personnes prendront leur retraite d’ici une dizaine à une quinzaine d’années environ et serons confrontés à tous les questionnements liés à la retraite. C’est pourquoi nous souhaitons les sensibiliser pour leur montrer qu’il est encore temps de mettre en place des mesures visant à renforcer leurs prestations de retraite et de prévoyance, et ainsi adoucir cette étape. En ce sens, nous organisons gracieusement ainsi, plusieurs fois dans l’année, des ateliers ouverts à tout un chacun dans nos agences de Lausanne, Nyon et Yverdon-les-Bains. À l’issue de ces ateliers, chaque participant est libre de prendre rendez-vous avec l’un de nos conseillers et experts, par exemple afin d’élaborer une planification financière adaptée à leur situation et à leurs besoins. Ainsi, les personnes intéressées pourront penser et surtout profiter de la retraite en toute sérénité.