La retraite n’est pas qu’une question financière

Pour le Directeur Général de Retraites Populaires Philippe Doffey, la problématique démographique qui pèse sur notre système de retraite nécessite des solutions complémentaires. Revenus additionnels, logements adaptés et aide à la personne doivent être combinés.

La question des retraites peut nous faire pousser des cheveux blancs. En cause, une démographie qui, en Suisse comme en Europe, se traduit par un important vieillissement de la population. Pour donner un ordre d’idée, il faut savoir que, de 1950 à 2010, le nombre de centenaires double quasiment tous les dix ans en Suisse. Et depuis 2018, nous gagnons chaque année en moyenne près de 100 centenaires, parmi lesquels se trouvent plus de 80% de femmes. A la fin 2021, le nombre de centenaires s’élevait ainsi à 1888 personnes, soit une progression de 9,4% par rapport à l’année précédente. Pour prendre soin de nos seniors, il est urgent de revoir certains aspects du paradigme de la prévoyance, mais ce n’est pas suffisant. Outre les questions financières qui constituent un impératif, il est aussi essentiel de mettre en place une stratégie basée sur des infrastructures immobilières spécifiques et des acteurs sociaux engagés. On en parle avec Philippe Doffey, directeur général de Retraites Populaires.

Le Temps : Pour revenir sur la problématique démographique qui pèse sur notre système de retraites, quelle est l’évolution en Suisse?

Philippe Doffey : Notre population vieillit dans des proportions très importantes. Outre le nombre de centenaires qui va en grandissant, avec un doublement tous les dix ans depuis 1950, on observe également une forte augmentation du nombre de personnes de 65 ans et plus. Rien que dans le canton de Vaud, on compte 135 000 personnes dans cette tranche d’âge. Et selon les projections de Statistique Vaud, elles seront 205 000 en 2040.

Comment cette dynamique démographique impacte notre société?

L’impact est évidemment fort sur notre système de retraite. Il y a de moins en moins de jeunes et de personnes actives au niveau professionnel pour prendre soin de nos aînés, et contribuer à l’équilibre financier de la société. Outre l’impact financier, des problèmes logistiques sont également à prendre en compte. Selon les projections démographiques mentionnées, les autorités cantonales se voient en effet dans l’impossibilité financière et logistique d’accroître suffisamment le potentiel d’accueil des EMS. Enfin, il s’agit aussi de considérer notre parc immobilier. Que l’on soit propriétaire ou locataire, des transformations de l’existant et la construction d’infrastructures spécifiques s’avèrent nécessaires.

Comment remédier à ces différents problèmes?

Notre stratégie se base sur trois axes. Le premier concerne l’assurance. Actuellement, le modèle classique que l’on observe par rapport à la retraite s’avère statique. Pour le résumer, il s’agit d’une rente fixe calculée sur la base des avoirs de l’AVS, du deuxième pilier et, éventuellement, du troisième pilier. Cela indépendamment des différents cycles qui constituent la retraite entre son début et sa fin. Mais en réalité, on constate que les rentiers ont des besoins différents. Durant la première phase de sa retraite, il est en effet fréquent de vouloir toucher un revenu un peu plus élevé, notamment afin de profiter de cette période souvent marquée par des loisirs, voire des voyages. La deuxième partie de la retraite est normalement un peu plus calme, avec des loisirs plus proches de  chez soi et moins de voyages. Les besoins financiers sont donc moins élevés. Enfin, lorsque l’on atteint un âge plus élevé, une assistance à la personne est souvent nécessaire, et les ressources financières nécessaires remontent. Pour suivre cette courbe des besoins financiers, nous avons mis au point des produits d’assurance qui s’adaptent selon les besoins des rentiers. Ce qui permet de bénéficier de prestations de retraite plus cohérentes avec la réalité des cycles décrits ici. Il s’agit en quelque sorte de proposer un ensemble de rentes adaptables et qui se complètent.

Sur le plan immobilier, vous avez également conçu un volet de mesures adaptées aux propriétaires?

En effet. Car un fort enjeu de la retraite se joue aussi au niveau des logements. Plus précisément, il s’agit d’être en mesure de les adapter pour permettre aux propriétaires de rester le plus longtemps possible chez eux. Ce qui s’avère bénéfique, tant pour répondre aux souhaits et préférences des personnes à la retraite que pour éviter une surcharge des EMS. Souvent, un logement familial classique, construit par exemple sur plusieurs étages, devient moins confortable et moins sûr lorsque l’on prend de l’âge. Dans ce sens, notre stratégie vise à faciliter l’accès au prêt hypothécaire pour les seniors. Une démarche possible au niveau d’un propriétaire à la retraite puisque la valeur de son bien a augmenté, son logement est fortement, voire complètement amorti et il bénéficie d’un revenu fixe prévisible, à savoir ses rentes. Parmi les adaptations du logement, l’accès facilité au prêt peut par exemple servir à remplacer une baignoire par une douche à l’italienne, limitant ainsi les risques de glissade qui, aujourd’hui encore, reste la blessure la plus fréquente menant ensuite à une détérioration de l’état de santé, puis à un séjour en EMS.

Que proposer pour les locataires?

Pour un locataire, faire des travaux de transformation au sein du bien qu’il loue s’avère souvent complexe, voire impossible. Le problème doit donc être pris différemment. L’objectif étant de bâtir un parc immobilier plus adapté aux seniors. Outre les infrastructures techniques spécifiques aux besoins et au confort des aînés, il est aussi important d’intégrer la dimension sociale à des projets immobiliers de ce type. Notre philosophie d’investissement est donc orientée en partie vers la transformation du parc bâti actuel et la construction de logements adaptés, conçus notamment pour favoriser le lien social au sein des quartiers grâce notamment à la présence des aides-soignants à domicile. Enfin, en plus de l’aspect des soins, il faut aussi accentuer la présence des référents sociaux. Des personnes dont le rôle consiste à aider les retraités au quotidien dans d’autres domaines que le médical, par exemple, pour organiser des activités sociales et offrir des services en lien avec le logement. Des démarches que nous favorisons par l’intermédiaire de partenariats, notamment avec Pro Senectute.

Quels projets immobiliers de ce type peut-on mentionner?

Nous avons notamment réalisé des logements adaptés à Montreux – avec La Corsaz, qui comporte 18 appartements et une référente sociale pour accompagner les seniors – et à Gland – La Combaz – avec Pro Senectute. Nous avons également d’autres projets, comme celui des Coteaux de la Venoge à Echandens ainsi que Métamorphose à Lausanne. Autant de réalisations qui démontrent la possibilité de mener un investissement responsable au travers de logements adaptés. Le tout en favorisant le lien social et les besoins des seniors.