Retraites, les femmes encore trop pénalisées

Les rentes des femmes et des hommes (AVS et LPP cumulées) diffèrent de près de 30%. Une inégalité en partie explicable par des aspects professionnels, mais qui reste due à des déséquilibres sociétaux. Des refontes du système sont attendues.

Le Temps du 7 novembre 2022
David Pfefferlé

En tant que femme, le système de retraite actuel comporte plusieurs difficultés qui se traduisent par des écarts importants par rapport aux hommes. La différence entre les rentes féminines et masculines parle d’elle-même: elle était de 30% en 2015, puis de 28% en 2020, AVS et LPP cumulés. Autant dire que l’asymétrie se gomme très lentement. Si les employeurs et les caisses de pension semblent avoir pris les devants, plusieurs ajustements restent essentiels à entreprendre au niveau légal et sociétal.

Judith Granat
Judith Granat, directrice Division marketing, conseil et communication

Autant dire que l’asymétrie se gomme très lentement. Si les employeurs et les caisses de pension semblent avoir pris les devants, plusieurs ajustements restent essentiels à entreprendre au niveau légal et sociétal.

Judith Granat, directrice de la Division marketing, conseil et communication à Retraites Populaires, nous donne ses clés de lecture et des pistes de réflexion pour tenter de rééquilibrer le système.


Quel sera l’impact de la réforme AVS21 votée récemment sur les femmes, les employeurs et les caisses de pension?

Pour les femmes, c’est un petit pas en direction de prestations de retraites légèrement plus étoffées. Mais un an de cotisation en plus dans toute une carrière ne change pas la donne de manière significative. Pour l’employeur, c’est avant tout un impact qui se répercutera sur sa stratégie en matière de ressources humaines. En somme, il s’agit de continuer à employer une collaboratrice existante pendant un an avant d’embaucher la personne qui lui succédera. En cela, l’impact est relativement faible. Enfin, pour les caisses de pension, il s’agit d’un changement réglementaire relativement simple à opérer, les acteurs de ce marché n’ayant pas attendu les adaptations juridiques pour faire preuve d’un certain dynamisme.

Pourquoi les femmes perçoivent-elles moins que les hommes?

Plusieurs aspects l’expliquent et sont à prendre en compte. Déjà, il est fréquent qu’une femme interrompe sa carrière temporairement lorsqu’elle souhaite concrétiser des projets sur le plan familial. Ce qui crée forcément un creux dans le plan d’épargne professionnel lié à la retraite. Ensuite, le retour au travail après une grossesse se fait assez fréquemment sur le mode d’un poste à temps partiel. A nouveau, cela se traduit par un certain trou en matière de cotisations. En Suisse, on notera d’ailleurs que 60% des femmes travaillent à temps partiel, contre 18% chez les hommes. Ce qui accentue un déséquilibre déjà important rien qu’en considérant les écarts de salaires entre hommes et femmes qui, depuis plus de deux ans, stagnent à près de 19%. Au final, en considérant les interruptions de carrière, les temps partiels et les écarts salariaux, on arrive à une différence de 28% entre les rentes féminines et masculines, AVS et LPP cumulés. Et ce taux peut fortement augmenter dans certains cas.

Comment expliquer la persistance de certaines de ces inégalités, en particulier concernant les salaires?

Le modèle sociétal et professionnel classique, pour ne pas dire ancien, dont nous avons hérité met du temps à évoluer. Si, de manière générale, on peut tout de même constater des changements encourageants, force est de constater que certains écarts semblent figés. La question des salaires l’illustre malheureusement bien. De 19,3% en 2012, l’écart salarial entre hommes et femmes est passé aujourd’hui à 19% (selon une étude de l’OFS datant de 2018), soit une quasi absence d’évolution. Sur cette proportion d’écart, il est cependant possible d’en expliquer une part, notamment en prenant en compte des facteurs logiques tels que le temps partiel et les interruptions de carrière qui se répercutent aussi sur la difficulté d’accéder à des postes de cadres. En revanche, environ 11%, soit plus de la moitié de l’écart hommes-femmes, reste inexplicable de manière sensée ou pragmatique. Un travail important reste donc à effectuer pour faire évoluer les mentalités et les réalités économiques du paradigme en vigueur actuellement. Sans nul doute que les entreprises ayant déjà mis en place des mesures d’égalité salariale entre femmes et hommes auront une longueur d’avance.

Quels leviers devrait-on activer pour tenter de solutionner la problématique des retraites, notamment sur le plan politique?

A mon sens, l’Etat pourrait, et aurait tout intérêt à soutenir davantage la garde des enfants, qui reste un problème coûteux au sein d’un couple. Bénéficier de plus d’aides et de mesures en la matière permettrait d’engendrer plusieurs avantages. Car en pouvant travailler tous deux à temps plein, ou en augmentant leur pourcentage, les parents vont forcément gagner plus, et les femmes vont donc cotiser davantage et bénéficier d’un capital retraite plus important. Cela permettrait en outre aux employées de revenir plus rapidement sur le marché du travail, ce qui bénéficie autant à l’employeur qu’aux collaboratrices. Des familles aux revenus plus élevés signifie par ailleurs davantage de pouvoir d’achat, ce qui stimule l’économie. En agissant sur l’aide à la garde d’enfants, on génère donc de multiples atouts et avantages touchant toutes les parties prenantes du système de retraite.

Quelles autres mesures peut-on identifier?

Le seuil et l’âge d’entrée à l’épargne LPP pourraient être revus. Actuellement, le seuil d’entrée est fixé à 21 510 francs jusqu’à la fin de l’année, puis à 22 050 francs au 1er janvier prochain sur une base annuelle. Ce seuil d’entrée reste problématique, voire discriminatoire, notamment dans le cas de plusieurs petits temps partiels cumulés. Concernant l’âge d’entrée, fixé à 25 ans, il est dommage de ne pas offrir la possibilité de cotiser avant, surtout en considérant le fait que de nombreux jeunes commencent à travailler bien plus tôt. Agir sur ces différents aspects en parallèle permettrait certainement d’engendrer un effet global significatif sur le système de retraite. Enfin, que l’on soit un homme ou une femme, il devient essentiel aujourd’hui de ne plus tabler uniquement sur le système étatique et les prestations prévues par son employeur pour sa retraite. On ne le rappellera jamais assez, mais prendre les devants individuellement, par exemple en souscrivant à un troisième pilier, doit devenir un réflexe.

Et concernant le deuxième pilier en particulier, comment l’améliorer ou le renforcer?

Du côté des employeurs et des caisses de pension, on peut constater que les bonnes pratiques semblent plutôt répandues. On estime en effet que seuls 10% des employeurs proposent des plans de retraite correspondant au minimum LPP. Ce qui ne signifie pas non plus que les 90% restants proposent des plans particulièrement généreux. Mais cela montre tout de même que les nombreux produits élaborés par les acteurs du marché suscitent l’intérêt des employeurs. Pour ces derniers, il est aussi évident que le fait de proposer un plan d’épargne sérieux et généreux s’avère de plus en plus important pour attirer et retenir des collaborateurs. Certains n’hésitant d’ailleurs pas à déployer des plans de fidélisation, basés sur une augmentation des prestations en fonction du nombre d’années passées au sein de l’entreprise. Il reste cependant possible et nécessaire d’agir sur le levier juridique. Des refontes légales doivent être entreprises afin de pouvoir mieux prendre en compte les déséquilibres sociétaux et les nouveaux modes de travail de notre paradigme professionnel, comme les temps partiels par exemple. Le taux de conversion constitue également un paramètre sur lequel agir pour améliorer la situation.