Philippe Doffey, de Retraites Populaires: «Encourageons la prévoyance des femmes»

Le directeur général de Retraites Populaires demande de ne pas relever l'âge de la retraite des femmes par crainte d'un échec populaire de l’accord trouvé entre les partenaires sociaux sur la réforme du 2e pilier.

Philippe Doffey, directeur général de Retraites Populaires, un des plus grands spécialistes de la prévoyance en Suisse romande, insiste sur la nécessité d’offrir des conditions de travail attractives aux employés. Lui-même vient de prendre un congé sabbatique de deux mois, consacré en grande partie à des défis sportifs. Ce geste de l’entreprise est offert à tous les employés après quinze ans d’ancienneté. Philippe Doffey répond aux questions du Temps sur la dégradation des conditions-cadres dans la prévoyance et sur ses espoirs de rendement pour les prochaines années.

Le Temps: En 2017, avant le rejet du projet Berset, vous nous disiez qu’à l’entrée en retraite un revenu de remplacement correspondant à 60% du salaire restait valable. Est-ce encore vrai aujourd’hui?

Philippe Doffey: Les conditions légales de la prévoyance vieillesse ne sont toujours pas adaptées. Elles devraient l’être parce que les caisses de pension ne peuvent distribuer que l’argent disponible. Le revenu de remplacement continue donc de diminuer.

Le phénomène principal, moteur de la réduction tendancielle des rentes, est celui de la baisse du taux technique qui amène les caisses de pension à augmenter la valeur des engagements au bilan. Une grande partie des bonnes performances réalisées par les instituts de prévoyance permet d’assurer la baisse du taux technique et de renforcer le passif du bilan. Cela signifie que le montant des rentes continue de diminuer. L’obligation d’offrir un revenu équivalent est inscrite dans la loi, mais cet objectif n’est plus atteint.

Est-ce que le nouveau parlement permettra de sortir de l’impasse?

Les partenaires sociaux ont trouvé une solution, même si des clivages majeurs demeurent. Un point clé, l’augmentation d’une année de l’âge de la retraite des femmes, risque de faire échouer la réforme une fois de plus. Faut-il prendre le risque d’un échec pour imposer une année supplémentaire? Pour moi, cela ne vaut pas la peine. Il est plus important d’encourager la prévoyance des femmes en limitant ou en supprimant la déduction de coordination [qui sert à déterminer le salaire assuré]. Ce serait une avancée majeure.

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Pourquoi ne pas segmenter les réformes?

La politique des petits pas est concevable. Mais il y a de vrais enjeux politiques parce que, dans la prévoyance professionnelle, la contribution du tiers cotisant [part des revenus de la fortune dans le capital vieillesse] devrait diminuer dans un contexte de taux bas. Face à ce phénomène, la tendance risque de favoriser le système de répartition de l’AVS plutôt que la prévoyance professionnelle. Nous assisterons à la répétition du traditionnel clivage gauche-droite à ce sujet.

Philippe Doffey

Qu’attendez-vous du tiers cotisant ces dix prochaines années?

Nous prévoyons une nette réduction des perspectives de rendement ces dix prochaines années. Pour Retraites Populaires, nous attendons un rendement de 1,8% par an, alors que les simulations précédentes étaient supérieures à 2%. Nos produits doivent s’adapter à ces changements.

Nous avons deux scénarios, l’un d’une remontée des taux ces prochaines années et l’autre dit «de japonisation» et de maintien des taux négatifs.

A 10 ans, nous obtenons les mêmes perspectives de rendement. A plus long terme, le scénario de japonisation engendrerait de graves difficultés pour les caisses de pension.

Est-ce que cela vous amène à prendre davantage de risques?

Nous continuons de privilégier une allocation d’actifs très diversifiée en renforçant les investissements tels que les infrastructures ou de nature immobilière avec des caractéristiques particulières. Je pense aux logements d’étudiants, aux structures paramédicales, aux infrastructures énergétiques.

Dans l’immobilier, l’effort portera-t-il davantage sur la promotion?

Dans l’immobilier, comme le marché secondaire lié aux immeubles construits n’offre que peu de perspectives de rendement, l’investissement porte de plus en plus sur le développement et l’accompagnement de projets. Nous avons renforcé nos structures dans ces métiers. Le rendement est acceptable. Tous les projets que nous conduisons, sur l’Arc lémanique, offrent des rendements nets entre 3 et 3,5%, mais la complexité est supérieure et la durée des projets est longue. Entre le plan de quartier et la réalisation, la durée peut s’étendre à sept ou dix ans. Or il est difficile de prévoir l’état du marché à cette échéance.

En raison de la part élevée des émissions de CO2 dans l’immobilier, quelle sera votre réponse?

Les nouveaux projets doivent se différencier par leurs qualités énergétiques et environnementales. Des infrastructures pour les véhicules électriques améliorent par exemple leur commercialisation.

Accordez-vous des prêts hypothécaires à des taux négatifs?

Les prêts hypothécaires font partie de l’allocation d’actifs. Pour les collectivités publiques, nous nous sommes arrêtés à 0%, sauf pour des cas particuliers de financement à court terme de quelques collectivités publiques, où les taux sont négatifs mais moins négatifs que le taux offert pour les liquidités.

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La valeur des immeubles en périphérie va-t-elle chuter?

Les patrimoines immobiliers que nous gérons prennent pour base d’estimation la valeur de rendement, laquelle est liée essentiellement aux loyers. Nous pratiquons une politique de loyers raisonnables qui répond à un besoin réel dans les régions périphériques. Pour nos parcs, nous n’attendons pas une nette hausse de leur taux de vacance. Mais la valeur des logements neufs et chers situés dans les régions éloignées est clairement menacée.

Avec la vague verte, l’immobilier affrontera de nouvelles réglementations. Combien pensez-vous devoir investir?

Pour le patrimoine Retraites Populaires, nous investissons environ 20 millions de francs par an en rénovations et optimisations énergétiques. D’une part, cela permet aux locataires de réduire leurs charges. D’autre part, cela renforce l’attractivité du parc immobilier du propriétaire. Le montant a tendance à augmenter au fil des années. Mais cela réduit le risque de vacance des logements. Les jeunes générations sont très sensibles au mode de chauffage et au bilan énergétique.

Avec la transition écologique, les investissements dans les énergies fossiles pourraient subir des pertes de valeur majeures.

Est-ce que l’empreinte carbone des Retraites Populaires est neutre?

Nous avons deux actions à ce sujet. D’abord une politique d’investissement responsable dans la politique d’investissement, dont un axe est lié à la stratégie climatique afin de mesurer l’impact CO2 du portefeuille. Afin de diminuer cette dernière, la première décision a été de sortir des investissements dans le charbon. La deuxième action est de présenter une politique climatique pour la gestion de ces portefeuilles. En matière d’énergies fossiles, l’impact sur le bilan carbone est un élément, mais l’objectif de préservation du capital sera de plus en plus important. Avec la transition écologique, les investissements dans les énergies fossiles pourraient subir des pertes de valeur majeures. Les politiques de désinvestissements vont se renforcer précisément pour mieux préserver le capital.

Est-ce qu’il faut encore investir dans sa caisse de pension ou préférer le 3e pilier?

Aujourd’hui, investir dans son 2e pilier, c’est faire des rachats et, à mon avis, c’est le placement le plus attractif à court et à moyen terme pour l’épargnant parce que les taux techniques des caisses restent fréquemment supérieurs à 2% et que les montants versés sont déductibles du revenu imposable. Dans le 3e pilier, des solutions garanties offrent des taux d’intérêt vraiment très bas, et les solutions liées aux fonds de placement reportent le risque sur l’épargnant.

Je suis toutefois favorable à l’idée d’offrir des possibilités de rachat dans le 3e pilier lié, bénéficiant également d’avantages fiscaux. En fonction des évolutions de carrière irrégulières, c’est une solution intéressante pour compléter sa prévoyance.

Est-ce que les entreprises ne pourraient pas s’engager davantage pour attirer les talents en améliorant leurs caisses de pension?

La guerre des talents va s’accentuer au moment où le remplacement des baby-boomers posera de grands défis. Mais pour attirer un jeune collaborateur talentueux, le système de prévoyance ne sera pas déterminant. Les jeunes veulent surtout des projets qui font sens dans des entreprises dans lesquelles ils peuvent s’identifier et profiter d’un environnement de travail moderne (temps partiel, télétravail, horaires variables).

Pour certaines entreprises, les normes comptables sont un frein. Pour d’autres, on préfère travailler sur des aspects variables du salaire plutôt que de prendre des engagements sur le long terme. En général, elles préfèrent variabiliser au maximum les charges salariales.

Quels seront les axes de votre action en 2020?

Notre objectif sera de poursuivre l’adaptation des produits pour pallier l’érosion des perspectives de rendement. Les changements se feront par étapes afin de maintenir leur compétitivité et pour répartir équitablement les profits et risques avec les assurés.

Nous allons par ailleurs offrir des prestations dans la planification financière et continuer à développer de nouvelles solutions de prévoyance. Par exemple, nous avons récemment développé en partenariat avec l’EPER une solution de prévoyance professionnelle pour les ménages privés et le personnel de l’économie domestique.

Que pensez-vous de la dépolitisation de l’âge de la retraite comme le propose l’initiative des jeunes PLR?

Je suis favorable à la dépolitisation des mécanismes et à un âge de référence lié à l’espérance de vie, comme dans certains pays scandinaves. On voit que le processus politique suisse est très lent. Des solutions automatiques et bien cadrées seraient profitables.

La numérisation est-elle bénéfique au système de retraite?

La numérisation est importante dans un contexte de péjoration des conditions de prévoyance. Les acteurs du système (gestionnaires de caisses de pension) doivent aussi faire leur part d’effort et limiter les frais administratifs et de placement. La numérisation va nous permettre d’augmenter notre productivité, d’automatiser les tâches simples pour se concentrer sur le conseil individualisé.

Le premier but est d’assurer une croissance de 2,5% du nombre d’assurés par année en diminuant les frais généraux d’environ 1%. Le second but porte sur les frais de gestion, avec l’ambition d’économiser environ 30 millions.