Retraites Populaires est un acteur majeur du marché immobilier vaudois. Alain Lapaire, responsable
du domaine immobilier pour cette institution, revient sur l’importance de ce secteur dans le portefeuille d’investissement d’une caisse de pensions.
Revue Prévoyance Professionnelle Suisse
Interview de Frédéric Rein
Alain Lapaire, directeur immobilier à Retraites Populaires
Sur le marché immobilier vaudois, Retraites Populaires se profile comme un acteur majeur. Les chiffres ne trompent pas: plus de 600 immeubles et près de 16000 appartements sous gestion, soit une valeur totale d’un peu plus de 7 milliards. Hormis quelques cas particuliers, notamment pour les besoins des services publiques, les caisses gérées par cette institution misent en effet avant tout sur le locatif. Alain Lapaire, responsable du domaine immobilier de Retraites Populaires, revient sur la gestion de cet actif réel.
Pour Retraites Populaires, la diversification dans la stratégie de placement est- elle importante dans le cadre de son portefeuille global ?
C’est évidemment primordial pour tous les investisseurs et les caisses de pensions d’avoir une certaine variété. Comme dans la plupart des autres caisses, l’immobilier représente chez nous, selon l’évolution du marché, entre 20 et 25 % des investissements. Certaines caisses atteignent même les 30 % (ndlr: le maximum selon OPP 2), voire davantage, moyennant une dérogation. D’autres, en revanche, n’ont pas d’immobilier direct et prennent des parts dans des fonds immobiliers, afin de ne pas devoir gérer du personnel et des compétences.
Chez Retraites Populaires, cette classe d’actifs réels se situe essentiellement dans le canton de Vaud. Pourquoi ce choix ?
Même si nous avons quelques biens sur Fribourg, Genève et Bâle-Campagne, la grande majorité de nos objets se trouvent effectivement dans le canton de Vaud. Ce choix est d’une part dicté par l’histoire de Retraites Populaires, d’autre part par une volonté de créer un cercle vertueux, à savoir de réinvestir dans le canton d’où proviennent les montants épargnés que nous plaçons au vu de la restitution des rentes, puisque nous gérons notamment la caisse intercommunale de pensions et la caisse de pensions de l’Etat de Vaud, qui détiennent plus de la moitié de l’ensemble de notre parc immobilier.
Vous vous intéressez aussi aux biens situés hors des zones urbaines ?
A tous les objets qui atteignent durablement la rentabilité visée en maintenant des loyers raisonnables, indépendamment de leur situation. Beaucoup de nos concurrents misent sur les centres urbains, nous, pas nécessairement. La seule difficulté est d’avoir le juste prix, car souvent, le vendeur voudrait, à tort, avoir les mêmes prix en périphérie que dans les grandes villes.
Donc si le prix est juste, aucun bien ne vous rebute ?
Je dirais plutôt que si le rendement peut être atteint, nous sommes potentiellement intéressés, car il se peut qu’il y ait trop de rénovations à faire, que le risque de vacance soit trop élevé en raison des défauts, ou encore qu’il y ait des sur enchères.
A vos yeux, cette concentration géographique représente-t-elle un risque ou une chance ?
Certains ont évoqué, à mon avis à tort, un risque. Quand il y a eu des crises immobilières en Suisse, il y avait certes des différences, mais nous n’avons jamais vu des régions touchées de manière particulièrement significative. Nous sommes un petit pays, voire une grande ville à l’échelle de certaines mégalopoles. Ainsi, lorsque cela va mal à Lausanne, on peut imaginer que ce ne sera pas vraiment mieux à Aigle, Bümplitz ou Zurich. Ou bien s’il y a trop de logements sur Vaud, il y en aura aussi trop sur Fribourg. Contrairement au marché des bureaux, où il peut y avoir des disparités notables d’un canton à l’autre, l’effet de diversification sur le marché du logement, où nous sommes très actifs, est nettement moins palpable.
Y a-t-il en revanche des avantages à se focaliser sur une région précise ?
La concentration cantonale à plusieurs avantages, à commencer par la proximité avec les autorités, les habitants et les entreprises locales. C’est plus facile de pouvoir compter sur un réseau et des partenaires établis. La connaissance des procédures, qui dépendent des usages et des règles communales ou cantonales, a également son importance. Ensuite, l’investissement est réalisé au profit de la population. Enfin, le fait de bien connaître son environnement permet d’avoir des points de comparaison qui sont bénéfiques à la gestion du parc immobilier.
Existe-t-il, a contrario, des inconvénients ?
La connaissance du marché est à double tranchant. Dans plusieurs appels d’offres, cela nous conduit à renoncer à participer à la surenchère, par opposition à d’autres acteurs, réduisant ainsi le nombre d’opportunités.
Ne craignez-vous pas qu’une telle concentration débouche sur une nouvelle réglementation cantonale (renforcement de la protection des locataires, etc.) ?
Non. Indépendamment de leur taille, tous les investisseurs sont impactés par un arsenal de lois (protections des locataires, développement durable, construction…) qui ne cesse de croître. Etre un acteur important ne change donc rien. Par contre, cela implique des engagements et une volonté d’exemplarité d’un point de vue environnemental et social.
Posséder des immeubles, c’est en effet avoir une responsabilité sociale en tant que bailleur. Comment concilier cela avec un bon rendement pour vos assurés ? N’y a-t-il pas un conflit d’intérêts?
Nous avons pour devoir légal de dégager une certaine rentabilité, afin de garantir l’épargne des gens qui ont travaillé pour obtenir une rente de retraite. Il convient donc toujours de procéder à une pesée d’intérêts entre cette nécessité de rentabilité et le maintien de loyers raisonnables, ainsi que la nécessité de rénover. Rester aligné avec nos engagements peut nous conduire à renoncer à certains investissements, comme par exemple les biens de luxe.
Votre responsabilité sociale peut prendre plusieurs formes…
Outre le fait d’offrir des logements de qualité à loyers raisonnables, nous avons en effet d’autres engagements sociaux. Le programme « Bien vivre sa retraite», par exemple, consiste à augmenter la qualité de vie des seniors dans des logements spécifiquement adaptés. Cela comprend un large spectre de mesures. Les standards minimaux consistent à limiter les rangements en hauteur, à enlever les seuils des portes, à proposer des locaux communs ou encore à instaurer le passage d’intervenants sociaux. Mais cela peut aussi prendre la forme de logements qui proposent des soins à domicile. Autrement, dans nos autres bâtiments, nous essayons de mettre à disposition des éléments d’utilité commune, comme des places de jeux ou des salles de réunion. Nous favorisons le « vivre ensemble» et l’ESG dès que possible. Dans un même ordre d’idées, nous cherchons des solutions de relogement lors d’une démolition ou bien nous donnons la priorité à une famille pour un six pièces. En outre, nous travaillons avec des entreprises locales.
Revenons à vos immeubles, qui sont, pour la majorité, des logements. Comment cela se fait-il ?
Il y a une dimension historique, avec un marché du logement qui est moins risqué que le commercial. Ainsi, comme le taux de vacance est très faible sur ce marché exsangue, ce créneau est très prisé. En tant que propriétaire, nous vivons, en Suisse, une situation privilégiée comparativement à d’autres pays. En revanche, nous sommes aujourd’hui confrontés aux besoins de rénovation dans le cadre du développement durable et des obligations légales qui lui sont liées. Pour ne pas se retrouver face à un goulot d’étranglement, il est donc important de bien planifier. Chez Retraites Populaires, nous avons doublé les efforts de rénovation sur notre parc immobilier, passant de 1.5 à 3 %. Pour cela, nous avons obtenu plus de moyens financiers et humains, doublant notamment nos effectifs de chefs de projet rénovation. Reste qu’il faut jongler avec les oppositions des voisins et les complications administratives per- mettant d’obtenir les autorisations.
Rénover c’est bien, bâtir c’est mieux ?
La réalisation de nouveaux bâtiments possède l’avantage d’être plus facile à gérer, puisqu’on a d’emblée les bons standards de qualité et qu’il n’y a pas de besoins de rénovation immédiats. En plus, contrairement aux rénovations, cela ajoute réellement des logements sur un marché qui en a besoin.
Pour les caisses de pensions, quelle est la part entre le nouveau et l’ancien au sein d’un portefeuille immobilier ?
En théorie, c’est réparti à parts égales. Mais dans les faits, on se rend compte que, ces dernières années, il est compliqué de faire du neuf et que cette part se reporte souvent sur du rachat. Pourtant, à l’avenir, si les caisses veulent maintenir un taux de 20 à 25 % d’immobilier au sein de leur portefeuille, elles devraient pou- voir investir 120 à 140 millions par an. A défaut de trouver des opportunités répondant au besoin de rendement, il faudra admettre que la part de cet actif va se réduire.
La concurrence est donc rude…
Oui, car la pierre reste une valeur refuge, qui montre une certaine stabilité sur le long terme, même si la rentabilité de l’immobilier est en baisse constante, puisque nous étions à près de 5 % il y a dix ans, contre 2 ou 3 % actuellement. Cela dit, les autres actifs sont nettement plus volatiles.
Dans le futur, le besoin en logements risque-t-il de diminuer ?
Il s’agit d’un besoin de première nécessité qui devrait augmenter sous l’effet de plusieurs facteurs: les seniors vivent plus longtemps et en bonne santé; les modèles familiaux changent (divorces…) ; et l’afflux de main-d’œuvre par le biais de l’immigration va subsister. La situation mondiale peut avoir une influence imprévisible, mais si l’immobilier va mal, je doute que les actions et les obligations puissent bien se porter.