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Forum de la prévoyance: rénovation immobilière, galère ou affaire?
déc 2025 - 5 minutes
Alors que la transition énergétique s’impose à tous les acteurs du bâti, Floriane Robert, intervenante lors du Forum de la prévoyance organisé par Retraites Populaires invite à changer de regard: rénover n’est ni une corvée, ni une dépense sèche, mais une chance. Diagnostic, sobriété, réemploi, co-conception: autant de leviers pour rendre les bâtiments plus durables et la vie à l’intérieur, plus agréable.
Quand on parle de rénovation énergétique, beaucoup de propriétaires imaginent des toits couverts de panneaux et une addition salée. Doit-on changer de perspective? Que voyez-vous, vous-même, comme opportunité?
Une vraie chance de remettre les choses à l’endroit ! Avant de «produire», commençons par moins consommer. La priorité c’est la sobriété. Ça passe par un diagnostic sérieux: comprendre où sont les faiblesses, puis soigner l’enveloppe thermique. Une fois seulement le bâtiment devenu frugal, on pense énergie: sortir des sources d’énergies fossiles, tels que le mazout ou le gaz, pour basculer vers des sources renouvelables telles que le solaire, l’éolien, l’hydraulique, la géothermie ou la biomasse. Et seulement alors, le photovoltaïque devient un bon complément, parce qu’il alimente un système déjà sobre.
Rénover, c’est aussi une histoire de qualité de vie. Que peut-on améliorer au quotidien quand on met les mains dans le bâtiment?
On profite des travaux pour revoir les usages: décloisonner, favoriser l’apport de lumière et la ventilation naturels, traiter le confort estival. Brise-soleil ou protections solaires mobiles extérieurs réduisent le rayonnement avant qu’il ne surchauffe l’intérieur – contrairement aux rideaux. On peut aussi rafraîchir sans mécanisation: créer des traversées d’air, rouvrir des façades opposées, apprendre à ventiler la nuit. Un système de ventilation simple flux, muni d’un récupérateur de chaleur suffit généralement en logement ; la ventilation double flux – plus énergivore – se révèle pertinente lorsque l’on est exposé à des nuisances (air, bruit). Et bien sûr, on respecte le contexte: sur un bien patrimonial, l’isolation par l’extérieur n’est pas toujours possible, il faut alors adapter la stratégie.

L'architecte Floriane Robert a fondé et dirige le bureau d'architecture Arcadie à Lausanne.
Vous parlez d’innovation, mais on vous entend aussi défendre des gestes très simples. Comment mariez-vous les deux?
En allant chercher l’innovation là où elle est utile, et aussi en s’inspirant de l’architecture vernaculaire. En remettant par exemple en jeu des matériaux et des savoir-faire: des ressources locales, issues de circuits courts, à faible empreinte carbone – qu’elles soient biosourcées, géosourcées ou réemployées. On favorise aussi le réemploi: en utilisant des éléments existants tels quels ou presque – sanitaires et menuiseries reconditionnées. Des tuiles concassées peuvent par exemple devenir un revêtement perméable extérieur. C’est prometteur, mais on se heurte encore aux garanties, au calendrier, au stockage, à la rigidité des normes et procédures. Il faudrait davantage d’infrastructures, des filières adaptées, des plateformes et plus encore de souplesse réglementaire.
La souplesse, c’est aussi anticiper la vie qui change: télétravail, mutations de quartier, reconversions… Comment le bâti peut-il suivre?
En dessinant des structures flexibles et modulables: plans libres, cloisons non porteuses, hauteurs utiles permettant d’accueillir divers usages, logements, administratif, institutionnel... La construction en bois et la préfabrication aident: on industrialise, on module, et, à terme, on démonte plutôt qu’on ne démolit. Quand on transforme un bâtiment administratif en logements, par exemple, la profondeur des plateaux et la lumière naturelle deviennent des enjeux clés: on réécrit les circulations, on offre des balcons ou des exosquelettes végétalisés pour redonner des prolongements extérieurs sans surcharger l’ancienne façade.
Tout cela suppose un écosystème en bonne intelligence. Aujourd’hui, les règles du jeu aident-elles ou freinent-elles?
Les intentions publiques et les subventions vont dans le bon sens, et le dialogue avec les services existe. Mais la procédure suisse reste exigeante et aime les projets figés, alors que le réemploi par exemple nécessite de l’ajustement en cours de route. On y arrive, simplement ce n’est pas «usuel».
Vous insistez sur la co-conception. Concrètement, pourquoi est-ce si décisif?
Parce que tout commence par un diagnostic partagé. L’architecte est un chef d’orchestre: on mobilise les bonnes compétences – énergie, structure, acoustique, thermique – selon ce que révèle le bâtiment. Choisir la bonne production de chaleur (réseau à distance, pompe à chaleur air-eau, géothermie) dépend de la taille, de l’implantation, du sol, du voisinage… On évite les recettes toutes faites, on priorise ensemble selon les normes, le budget et le calendrier, sans perdre la cohérence d’ensemble. Concilier économie et écologie, c’est donner à la durabilité les moyens d’exister.
On sent dans vos propos une vraie conviction. Qu’est-ce qui vous anime dans ces démarches durables?
C’est une responsabilité collective et personnelle. Dans notre équipe, elle est partagée par toutes les générations – les plus jeunes nous rappellent chaque jour pourquoi ces questions comptent. On ne peut plus dissocier nos projets du risque climatique ni de leur impact sur la planète. Et c’est là que notre métier devient passionnant: transformer cette conscience en actes concrets, en projets durables et désirables.
Rénover, un pari exigeant mais gagnant

À entendre les intervenants du Forum de la prévoyance organisé par Retraites Populaires le 7 novembre dernier, rénover un immeuble est un exercice d’équilibriste – certes – mais aussi un investissement d’avenir. Pour les caisses de pension, il s’agit de préserver la valeur des bâtiments et d’assurer un rendement suffisant pour payer les retraites, tout en améliorant le confort des habitants, dans le respect des normes légales et environnementales.
Rénover, c’est avant tout une affaire de temps long. «Les effets d’une rénovation ne se voient pas du jour au lendemain. Il faut du temps, de la patience et de la vision», a témoigné Eric Niederhauser, directeur général de Retraites Populaires.
Même constat du côté de Flourentzos Flourentzou, expert en rénovation durable et cofondateur d’Estia SA: «Ne pas décarboner aujourd’hui, serait le pire placement pour demain.» Il reconnaît que beaucoup de propriétaires hésitent face à la complexité et aux coûts initiaux. Mais bien préparés, ces projets deviennent cohérents, durables et, à terme, clairement rentables.
L’humain au cœur des chantiers
Pour Floriane Robert, architecte et fondatrice du bureau Arcadie, chaque projet est un dialogue constant: «Entre les services, les politiques et les habitants, il faut savoir avancer pas à pas, avec écoute et souplesse.» Car rénover, c’est aussi offrir aux générations futures un patrimoine vivant et durable.
Même conviction pour Gérard Greuter, responsable du service Rénovations et énergies durables chez Retraites Populaires: «Informer, rassurer et accompagner les locataires, c’est ce qui fait la réussite d’un chantier.» Pour lui, la rénovation est «une véritable opportunité d’ancrer la durabilité dans la société, en alliant écologie, responsabilité sociale et développement urbain.»
Une transition soutenue par l’État
Le conseiller d’État Vassilis Venizelos a replacé ces efforts dans une perspective cantonale. Il a rappelé que 84% de l’énergie consommée dans le canton de Vaud est importée. Or, une large part de cette consommation provient des bâtiments: leur assainissement énergétique est donc un levier majeur de la transition. Il a encouragé les acteurs publics et privés à poursuivre leurs efforts dans une transition exigeante, mais solidement appuyée par le canton.