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Illustation / Photographie article Bella vita

Portrait

L’engagement comme boussole

déc 2025 - 5 minutes

Ancienne apprentie chez Retraites Populaires, Veronica Almedom est entrepreneure, membre de la Commission fédérale des migrations et défenseuse de droits humains. Rencontre.

Vous êtes née à Rome et avez grandi en Suisse. Quel lien gardez-vous avec l’Érythrée?

Mes parents ont fui la guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Ils ont d’abord trouvé refuge au Soudan, puis en Arabie saoudite, où ils se sont mariés avant d’obtenir l’asile en Suisse. J’ai grandi à Martigny, dans le canton du Valais. Nous étions réfugiés jusqu’à mes 10 ans, avec un permis F, avant d’obtenir le permis B.
Mon premier grand voyage en Érythrée, à 12 ans, a été un vrai tournant. C’était la première fois que je rencontrais mes grands-parents et que je découvrais la vie là-bas. J’ai compris la chance que j’avais. En 2004, j’y suis retournée, mais la situation s’était dégradée: le régime était devenu brutal, le service militaire obligatoire, la seule université du pays fermée. Dans les rues de la capitale Asmara, la police était partout. En 2010, mes proches et connaissances étaient soit à l’armée, emprisonnés ou en exil. J’ai remarqué à quel point la dictature s’était installée.
Quand je suis rentrée, j’ai ressenti le besoin d’agir. C’était difficile car j’étais perçue comme la petite qui a grandi dans la diaspora. C’était principalement des hommes qui se mobilisaient, mais j’ai commencé à réfléchir à des moyens concrets d’aider. La première chose que j’ai faite a été d’acheminer du matériel en Érythrée — en l’occurrence du matériel de bureau récupéré à Retraites Populaires après leur changement de logo, que j’ai pu transmettre là-bas.
 

Cet engagement s’est ensuite transformé en véritable action militante.

Oui, le déclic est venu en 2013, lors du naufrage à Lampedusa. Plus de 350 personnes - des enfants, des femmes dont l'une était enceinte - ont perdu la vie. Cet événement m’a profondément bouleversée. Via Facebook, nous avons organisé une marche blanche à Genève. Une cinquantaine de personnes s’étaient inscrites, mais plus de 500 personnes sont venues, accompagnées de la RTS et de la presse romande. C’est là que j’ai pris conscience de la force de la mobilisation collective.
Avec des activistes érythréennes de Londres, nous avons lancé trois campagnes Stop Slavery in Eritrea entre 2014 et 2016, en soutien à la rapporteuse spéciale de l’ONU. Malgré les menaces que nous avons reçues, nous avons persévéré.
La commission d’enquête des Nations Unies a finalement reconnu des crimes contre l’humanité. En 2016, 16 000 personnes ont manifesté pour la cause. Ce fut un moment fort: une reconnaissance internationale, mais surtout une preuve que la voix de la société civile peut servir pour améliorer le monde.
 

C'est une preuve que la voix de la société civile peut servir pour améliorer le monde.

 

Votre parcours professionnel est aussi marqué par votre passage chez Retraites Populaires.

Absolument! Après avoir quitté le gymnase, j’y ai commencé un apprentissage en 2007. J’ai d’abord travaillé dans le 2ᵉ pilier, où j’ai tout appris: la rigueur, la structure, la relation client, la compréhension du monde de l’entreprise. J’étais fascinée par la diversité des domaines : prévoyance, immobilier ou encore conseil clients, c’était tellement riche!
C’était une période très formatrice, humainement et professionnellement. On apprenait à sortir de sa zone de confort, à travailler en petite équipe, à comprendre les dynamiques de grandes structures. Et on avait des sorties d’équipe! Pendant mon apprentissage, comme évoqué précédemment, j’ai pu rapporter du matériel en Érythrée — une manière de connecter deux mondes qui me sont très chers.
Cela m’a beaucoup apporté pour la suite de mon parcours. J’ai pu voir les choses en grand et avoir une vision panoramique du monde professionnel. Je crois que tout jeune devrait vivre cela: ça forge l’adaptabilité et l’importance du collectif.
 

Vous avez ensuite fondé New Wind Ventures. Pouvez-vous nous en parler?

Oui. Fin 2020, je suis partie quelques mois au Ghana, puis au Rwanda, où j’ai découvert un écosystème entrepreneurial en plein essor. Là-bas, j’ai observé l’émergence de hubs d’innovation par des investisseurs privés internationaux, mais aussi les besoins en matière d’investissement, de structuration et d’alignement. Il est nécessaire de déconstruire cette image d’une culture économique africaine dépassée car plusieurs pays se développent très bien.
De retour en Suisse, j’ai intégré la Trust Valley à l’EPFL, un programme d’incubation pour start-up en phase de lancement. Après un an de travail, nous avons levé nos premiers capitaux et créé New Wind Ventures SA.
Notre mission est d’élargir la diversification des portfolios d’investisseurs internationaux en leur donnant directement accès à des opportunités d’investissement hautement stratégiques sans qu’ils ne dépensent plus de temps ou d’argent.
Aujourd’hui, notre équipe est répartie entre Nairobi, Cape Town et la Suisse.

Vous êtes aussi experte à la Commission fédérale des migrations. Quel est votre rôle?

J’y ai été nommée par le Conseil Fédéral en 2016 pour trois législatures. La Commission fédérale des migrations traite de sujets économiques, sociaux et politiques liés à la migration. Nous émettons des recommandations à l’administration fédérale et parfois, lors de votations cantonales.
Elle a un rôle purement consultatif mais c’est un moyen de faire remonter les voix et les préoccupations de la diaspora érythréenne. Cela me permet de lier mes engagements personnels à des actions concrètes au niveau institutionnel.
 

En 2022, vous avez rejoint la Fondation Obama. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté?

J’ai été encouragée à postuler par un ami, à un moment où je doutais beaucoup. Après le rapport de la commission d’enquête sur l’Érythrée en 2016, aucune mesure contraignante n’avait été prise. C’était déprimant de devoir informer mes connaissances sur place que rien n’allait changer.
En 2017, j’ai commencé des études en sciences politiques à Genève, ce qui m’a redonné de l’énergie. Et quand la Fondation Obama m’a sélectionnée en 2022, tout s’est aligné. Pendant six mois, j’ai suivi des formations hebdomadaires en ligne sur le leadership et les questions sociétales, avant de rejoindre le programme en personne à Copenhague, où nous avons rencontré Barack Obama. C’était inspirant.
J’y ai retrouvé des jeunes de toute l'Europe, engagés dans le changement social, parfois frustrés comme moi, mais portés par l’envie d’agir. Cela m’a rappelé que le changement est long, mais qu’il vaut la peine d’être poursuivi.
 

Enfin, vous êtes à la tête de l’ONG Information Forum for Eritrea. Quel est son rôle ?

Nous travaillons actuellement sur un projet autour de la mémoire et de l’archivage. L’histoire de l’Érythrée est traversée de guerres, colonisation et dictature. Le régime a fermé la seule université et démantelé le parlement.
Notre but, c’est de préserver les traces de ce passé, d’empêcher qu’il soit réécrit et d’ouvrir un espace de parole pour les victimes. Il est facile, dans ce type de régime, de manipuler la mémoire collective.
À travers l’Information Forum for Eritrea, nous voulons que la vérité reste accessible, que les générations futures puissent comprendre ce qui s’est passé et que les voix réduites au silence puissent enfin être entendues.